Un récent rapport de l’INS, intitulé «Endettement des agents économiques non financiers, lecture dans les comptes financiers», montre que l’endettement des sociétés non financières, qui repose exclusivement sur le crédit et dont le taux d’endettement s’est situé habituellement à 52% du PIB en moyenne sur la période 2015-2020, a baissé, selon l’Institut national de la statistique, à 50,1% en 2022.
«Dans l’architecture du système des comptes économiques tunisiens, les comptes nationaux financiers décrivent les placements et financements qui interviennent entre les différents secteurs ou sous-secteurs institutionnels de l’économie nationale ainsi que vis-à-vis du reste du monde, et reflètent leur capacité ou besoin de financement. Ils recensent leurs avoirs et engagements financiers en stocks et en flux en détaillant pour chaque type d’instrument financier les encours, flux d’opérations, réévaluations et autres changements de volume», lit-on dans le dernier rapport de l’INS sur l’endettement des agents économiques non financiers.
Un travail qui prend appui sur les résultats des comptes financiers couvrant la période 2015-2022 pour porter un regard sur l’endettement des agents économiques non financiers et mettre en avant les éléments de repère et les tendances récentes sur un aspect d’une actualité fondamentale.
L’endettement public atteint un niveau inédit de 83% du PIB en 2022
D’après l’INS, à l’échelle nationale, l’encours des titres de créances est passé de 16.8 milliards de dinars en 2015 à 39.6 milliards de dinars en 2022. En termes de flux nets, les titres de créances ont progressé considérablement de 0.86 milliard de dinars en 2015 à 6.4 milliards de dinars en 2022.
L’augmentation massive en 2022 résulte principalement de l’accélération des émissions des titres étatiques, dont la part dans les émissions totales nationales est passée de 68% en 2015 à 75% en 2022 (73% en 2020).
Il faut savoir au passage qu’il y a deux agents ou opérateurs économiques qui se financent grâce à cet instrument financier : les administrations publiques (environ les deux tiers des émissions), les sociétés financières (en moyenne le tiers du volume des émissions annuelles). Lorsque leurs dépenses sont supérieures à leurs recettes, les administrations publiques ont besoin de ressources supplémentaires pour financer leur déficit, de sorte qu’elles empruntent et accroissent l’endettement public. L’évolution de la dette résulte des soldes budgétaires antérieurs ; la répétition de déficits la fait augmenter.
A l’inverse, une succession d’excédents la réduit. Généralement, plus les engagements des administrations publiques sont élevés, plus les marchés envisagent la possibilité d’une défaillance sur leurs emprunts, et plus la prime de risque qu’ils exigent s’élève, ce qui alourdit le coût de la dette.
Afin de couvrir leur besoin de financement, les administrations publiques (APU) ont souvent recours à l’endettement, principalement à travers l’émission de «titres de créances» ou la contraction de crédits, intérieurs et extérieurs.
Les administrations publiques (principalement l’Etat) ont procédé à des émissions massives des titres de créances négociables (TCN) sur la période 2015-2022 et qui représentent en gros une moyenne d’un cinquième de son endettement total. Ce financement comprend en particulier les émissions de Bons de Trésor sur le marché intérieur, détenus en grande partie par les sociétés financières.
Par rapport à cet instrument financier, le flux net de cette catégorie de titres était de l’ordre de 0.58 milliard de dinars en 2015 ; le recours à ce mode de financement a enregistré une accélération remarquable puisque le volume des émissions s’affiche en 2020 à 4.1 milliards de dinars et 4.8 milliards de dinars en 2022.
Du coup, la part du flux net de ces titres, qui représentait seulement 11% de leurs engagements en 2015, s’établit à 55% en 2022. Cette augmentation est expliquée par l’accélération des émissions des Bons de trésor à court terme (Btct), mais également à l’intervention de la Banque centrale de Tunisie (BCT) dans le cadre des opérations dites d’Open Market.
Le flux net des crédits des APU est passé à 3.68 milliards de dinars
Ce type d’intervention consiste à acquérir des titres publics, en procédant à des achats fermes intensifs de bons de trésor à hauteur de 15% en 2022 contre 8% en 2020 et 1% en 2015 de l’encours des titres de créances émises. L’objectif étant de répondre ainsi aux besoins des banques demandeuses de liquidités, notamment lors de l’exercice 2020, durant lequel l’activité économique a été plombée par la crise sanitaire.
Incontestablement, le recours au crédit demeure la source majeure de financement pour les administrations publiques avec une proportion proche de 80% en moyenne sur la période 2015-2022, marquant un pic à 83,4% en 2018.
Depuis, la part des crédits est en repli au profit des titres de créances, dont la part représente environ le quart de l’endettement total. Il faut noter que le flux net des crédits des APU est passé de 4.65 milliards de dinars à 3.68 milliards de dinars en 2022. En proportion, le flux net des crédits des APU a représenté plus de 84% de leurs engagements en 2015, contre seulement 42% en 2022 et 45% en 2021.
Ce repli est essentiellement imputable aux retombées de la pandémie, qui a réduit considérablement les entrées nettes de capitaux extérieurs sous forme d’emprunts à moyen et long terme et des flux entrants d’investissements étrangers. Par ailleurs, en termes de structure d’endettement intérieur/extérieur, en gros, environ deux tiers de l’encours total des APU ont été contractées auprès de l’extérieur durant les cinq dernières années, cette propension étant en contraction depuis 2018, où elle s’est établie à 73,5%.
Cette configuration en matière de partage de l’endettement extérieur-domestique témoigne encore de la forte dépendance des finances publiques, et de l’économie nationale d’ailleurs, aux financements extérieurs et tranche avec la structure observée comparativement dans d’autres pays (Maroc), où elle est totalement inversée.
Le crédit occupe une place prépondérante dans l’endettement des SNF
Dans l’endettement total des sociétés non financières (SNF), le crédit occupe une place prépondérante, alors que le recours aux titres de créances pour la mobilisation de sources de financement constitue un instrument marginal et ponctuel.
Pour la mesure de l’endettement des SNF, plusieurs approches coexistent : elles diffèrent par leur niveau de consolidation, autrement dit du retraitement effectué au niveau des bilans d’entreprises pour en extraire un certain nombre de crédits effectués entre les SNF elles-mêmes et qui peuvent être considérés comme non pertinents pour l’analyse macroéconomique de la dette des sociétés ou des entreprises. Néanmoins, l’appréciation de la dette dite non consolidée des SNF est l’approche la plus commune et se base sur la somme de l’ensemble des dettes qui figurent au passif des sociétés non financières, à savoir les crédits et les titres de créance.
Elle présente les avantages d’une définition simple et englobante de la dette des SNF, sans toutefois inclure la catégorie «autres comptes à payer», qui renferme en particulier les dettes fournisseurs. En revanche, cette évaluation incorpore l’ensemble des dettes contractées entre deux SNF, ce qui pose un problème ou véhicule un biais lorsque celles-ci résultent uniquement d’une simple écriture comptable.
Le flux net de crédits mobilisés par les SNF est passé de 1.303 milliards de dinars en 2015 à 6.6 milliards de dinars en 2020, 1.21 milliards de dinars en 2021 et 2.76 milliards de dinars en 2022 qui s’explique par le contexte inédit de l’année 2020 et la décélération des encours des crédits entre 2021 et 2022.
Cependant, on signalera que l’année 2017 a connu un accroissement remarquable des crédits nets qui ont avoisiné les 4.29 milliards de dinars, ce qui représente 51% de leurs engagements durant la même année, contre 20% en 2015. Cette évolution de l’encours des crédits trouve essentiellement son origine dans la nette accélération des crédits à court terme consentis aux entreprises entre les deux dates et se justifie en partie également par la hausse du Taux du marché monétaire (TMM) qui est passé, d’une moyenne de 4,26% en 2016 à 5,23% en 2017 à la suite du relèvement du taux directeur de la Banque centrale de 100 points de base en 2017.
Les crédits des ménages ont doublé entre 2015 et 2022
Le secteur institutionnel des ménages, qui, il faut le rappeler, regroupe aussi bien les ménages dits purs, les entrepreneurs individuels et les Isblsm ou associations pour simplifier, affiche un taux endettement en légère progression continue entre 2015 et 2019 (autour de 41,6% du Rndb en moyenne), pour augmenter en 2020 de l’ordre de 52.4% et baisse de nouveau à 49.5% en 2022. Ce profil chahuté reflète l’évolution des crédits aux ménages qui représente leur unique source d’endettement au regard des instruments financiers recensés, mais également à la trajectoire de la formation du revenu national disponible brut (Rndb). L’encours des crédits a constamment augmenté et a plus que doublé entre 2015 et 2022, passant de 26.29 milliards de dinars en 2015, à 55.3 milliards de dinars en 2022.
L’augmentation de cet encours résulte de celle des crédits à la consommation, plus précisément les crédits octroyés pour la rénovation ou l’aménagement de logements et les dépenses courantes, mais aussi ceux à plus longue maturité et destinés à l’acquisition d’habitats. Le flux net des crédits est passé de 1.75 milliards de dinars en 2015 à 4.06 milliards de dinars en 2022. Cette évolution est marquée par une baisse en 2019 au niveau de 1.894 milliards de dinars. Ceci s’explique par la hausse du taux d’intérêt directeur par la BCT à deux reprises afin de faire face à la résurgence des pressions inflationnistes en 2019 et qui représentent un risque pour l’économie. La détérioration du pouvoir d’achat des ménages d’où leurs capacités à s’endetter et le durcissement des conditions monétaires.
(La Presse avec INS)